
Pierres, bois et métaux en Mésopotamie


Plaque murale perforée : relief d’Ur-Nanshé, roi de Lagash
Tello (pays de Sumer), Irak ; vers 2550-2500 av. J.-C.
Calcaire
© 2016 Musée du Louvre / Philippe Fuzeau
Le bois des temples et des palais : un enjeu de pouvoir pour les rois
Salle 236
La Mésopotamie, région antique comprise aujourd’hui entre l’Irak et une grande partie de la Syrie, est une large plaine alluviale au climat chaud drainée par les fleuves Tigre et Euphrate. La végétation qui y pousse est pauvre en grands arbres. Seuls des palmiers-dattiers fournissent un bois de construction de piètre qualité.
Pour obtenir les grumes (tronc d'arbre dont on a enlevé les branches mais pas l'écorce) nécessaires aux constructions monumentales (pour les toits, les linteaux des portes ou des fenêtres, ou encore les montants des vantaux de portes), les Mésopotamiens devaient se les procurer dans des régions, en général montagneuses, où poussaient de meilleurs arbres : soit à l’est dans le monde iranien voire plus loin encore vers l’Inde, soit à l’ouest dans les montagnes du Taurus (Turquie) ou du Liban où poussaient notamment les célèbres cèdres aux troncs larges et au bois odorant.
Assurer la pérennité du culte rendu aux dieux était l’une des fonctions principales des rois, notamment à Sumer (sud de la Mésopotamie). Les rois devaient donc assurer la construction, la reconstruction et l’entretien des temples, et organiser les moyens de se fournir en matériaux. Vers 2500 avant J.-C., Ur-Nanshé, roi de la cité sumérienne de Girsu (aujourd’hui Tello) a relaté sur un relief de pierre comportant une inscription cunéiforme, qu’il est allé se procurer du bois au pays de Dilmun, qui correspond à la région autour de l’actuelle île de Bahreïn, dans le golfe Persique. Le bois était ainsi certainement acheminé par bateaux.
Bien plus tard, au 8ème siècle av. J.-C., Sargon II roi d’Assyrie (empire situé au nord de la Mésopotamie) est allé chercher le bois nécessaire à la construction de son fastueux palais dans les montagnes du Liban. Là aussi, l’exploit qui a consisté à transporter les grumes de cèdres par flottaison en remontant les côtes du Liban, puis en descendant le fleuve Tigre jusqu’au lieu de construction, a été immortalisé dans les reliefs visibles aujourd’hui.
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Frise représentant le transport des cèdres du Liban vers le palais de Sargon II d’Assyrie © 2010 Musée du Louvre / Angèle Dequier Salle 229 |

Statue d’Ebih-il, nu-banda de Mari
Mari (actuel Tell Hariri), Syrie ; vers 2400 av. J.-C.
Albâtre, coquillage, bitume, lapis lazuli
© 2011 Musée du Louvre / Raphaël Chipault
Le lapis lazuli, divin bleu
Salle 234
Au 3ème millénaire av. J.-C., l’une des pierres les plus recherchées dans le monde mésopotamien est le lapis lazuli. Sa couleur bleue et son aspect légèrement brillant évoque la lumière du ciel et le monde divin. Mais les seuls gisements disponibles et exploités à cette époque se situent à 2500 kilomètres de là, dans les zones montagneuses de l’actuel Afghanistan. Pourtant des quantités impressionnantes ont été mises au jour dans plusieurs sites d’Irak et de Syrie, notamment dans le cimetière royal d’Ur, et également en Égypte.
Des blocs bruts ont même été retrouvés à Ebla (Syrie) ce qui laisse penser que ceux-ci étaient préparés dans leur région d’origine pour être envoyés tels quels vers les centres de consommation où ils étaient sculptés par des artisans locaux.
Le lapis lazuli était travaillé de multiple façon. Il était souvent utilisé dans la confection de bijoux ou de sceaux. Il était également fréquemment employé comme placage dans diverses sculptures composites, c’est-à-dire fabriquées dans une multiplicité de matériaux. La statue d’Ebih-il provenant de Mari en est un exemple remarquable : la majeure partie de la statue de cet orant (personne en prière) assis est faite d’un beau bloc d’albâtre, mais l’iris de ses yeux est fait de deux disques de lapis lazuli qui donnent à son regard profondeur et vitalité.
La valeur du lapis explique qu’on en a retrouvé beaucoup déposé en offrandes dans des temples, souvent sous la forme de minuscules amulettes en forme d’animaux, comme ce taureau couché provenant du temple d’Ishtar de Mari.
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Amulette en forme de taureau couché © 2012 Musée du Louvre / Raphaël Chipault |

Collier de cinq perles tubulaires
Tello (pays de Sumer), Irak ; vers 2550-2500 av. J.-C.
Cornaline
© Musée du Louvre / Christian Larrieu
La cornaline : quand l’Inde se connecte à la Mésopotamie
Salle 236
La cornaline est une variété de quartz de couleur orange ou rouge du fait de la présence d’oxyde de fer. Les sources sont plus variées que le lapis lazuli mais on en trouve surtout dans le sous-continent indien. Or, au 3ème millénaire av. J.-C., au sein de la civilisation de l’Indus, des artisans ont développé des techniques de pointe pour travailler cette pierre d’une dureté relativement grande. Il fallait faire preuve d’une grande virtuosité pour parvenir à tailler, mettre en forme puis polir ces perles tubulaires ou biconiques longues de plusieurs centimètres. Certaines étaient également chauffées pour en accentuer la teinte rouge. Le moment de leur perforation dans toute leur longueur était l’étape la plus délicate car alors le risque de casse était très élevé.
Seuls les artisans de la civilisation de l’Indus sont parvenus à réaliser de telles perles. Pourtant, elles ont été retrouvées très loin de leur lieu d’origine, notamment en Mésopotamie, où elles étaient très recherchées. Il est probable qu’elles étaient échangées le long des routes maritimes qui connectaient les deux régions par la mer d’Oman et le golfe Persique.
Là aussi, le fait qu’elles étaient non seulement portées en collier par de riches personnages mais encore offertes en cadeaux aux dieux témoigne de la haute valeur qu’on leur attribuait. C’est le cas de cette belle perle tubulaire inscrite au nom de Shulgi, puissant roi d’Ur à la fin du 3ème millénaire av. J.-C., et vouée à la déesse Ningal.
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Perle tubulaire inscrite au nom de Shulgi, roi d’Ur, et vouée à la déesse Ningal © 1997 Musée du Louvre / Hervé Lewandowski Salle 305 |

Ensemble dit du « Vase à la cachette »
Suse, tell de l’Acropole ; vers 2500-2450 av. J.-C.
Céramique, alliages cuivreux, albâtre rubané (calcite), or, lapis lazuli, coquille
© 2009 Musée du Louvre / Thierry Ollivier
Le « vase à la cachette » : albâtre iranien et cuivre de Magan au milieu du IIIe millénaire av. J.-C.
Salle 231
Le « Vase à la cachette » est un ensemble d’objets cachés dans deux jarres à Suse vers le milieu du 3ème millénaire av. J.-C. Ils comprenaient principalement des objets en alliage cuivreux (du cuivre allié à d’autres composants : essentiellement de l’arsenic et parfois de l’étain) et des vases en albâtre rubané qui témoignent tous des relations d’échanges que les habitants de Suse ont dû entretenir avec des contrées lointaines pour se procurer les matières premières pour la réalisation d’objets de prestige.
À cette époque en effet (âge du Bronze ancien) où l’usage des objets métalliques se généralise, notamment pour les armes, mais reste cher, il est essentiel de se procurer du cuivre, qui est alors le minerai de base de la métallurgie. Or, comme pour la plupart des ressources minérales, la plaine mésopotamienne et la région de Suse (sud-ouest de l’Iran) n’en disposent pas. En revanche, l’ancien pays de Magan (actuel sultanat d’Oman à l’est de la péninsule Arabique) était riche en cuivre et en a tôt développé l’exploitation. Des analyses sur le métal des objets du vase à la cachette ont montré qu’il provenait certainement de ce pays de Magan.
Les très beaux vases translucides en albâtre rubané (nom usuel de la calcite) viennent aussi certainement de loin, car cette pierre n’existe pas dans la région de Suse. Au contraire, des gisements et des ateliers d’exploitation datés de cette époque ont été localisés en Iran oriental, près de la frontière afghane, notamment à Shahr-i Sukhte. Ce « vase à la cachette » est donc le témoin des échanges lointains que les habitants de Suse ont très tôt su développer pour répondre à leurs besoins.
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Onze vases appartenant à l’ensemble du « vase à la cachette » © Musée du Louvre, dist. RMN - Grand Palais / Thierry Ollivier |

Statuette funéraire féminine nue, représentant la défunte ou une divinité non identifiée
Hillah, près de Babylone, Irak ; vers 100 av.–100 ap. J.-C.
Albâtre, or, stuc, rubis
© RMN - Grand Palais (Musée du Louvre) / Philip Bernard
Pierres fines et pierres précieuses : des origines toujours plus lointaines
Salle 230
À la fin du 1er millénaire av. J.-C., après la conquête du Moyen-Orient par Alexandre le Grand, les techniques de taille des pierres fines s’améliorent et permettent désormais de travailler des pierres de très grande dureté comme l’émeraude (variété de béryl) et le rubis (variété de corindon).
Toutefois, pour les populations du Moyen-Orient, il faut se procurer ces pierres de plus en plus loin. Le monde indien en est toujours un pourvoyeur majeur. C’est sans doute de là que proviennent les deux béryls verts (parfois appelés racines d’émeraude) de cette paire de pendants d’oreille. Taillés en sphère, ils sont sertis dans une monture en or pour former comme de petites amphores.
La provenance des trois rubis ornant les yeux et le nombril de la statuette féminine d’albâtre retrouvée près de Babylone (Irak) est encore plus lointaine. Des analyses des éléments chimiques qui les constituent, réalisées au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, ont permis de démontrer qu’ils proviennent très probablement de Birmanie. Cela ne signifie pas nécessairement que des marchands babyloniens se sont rendus là-bas. Il faut davantage imaginer le voyage de ces pierres précieuses par des échanges de proche en proche. Toutefois, ils témoignent de l’interconnexion croissante de mondes éloignés et de l’ouverture de la Mésopotamie à des horizons toujours plus élargis.
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Paire de pendants d’oreille © Musée du Louvre, dist. RMN - Grand Palais / Raphaël Chipault Salle 310 |
- F. TALLON, Pierres précieuses de l’Orient ancien : des Sumériens aux Sassanides, cat. exp., Musée du Louvre, Paris, 1995
- A. BENOIT, Les civilisations du Proche-Orient ancien. Manuels de l’Ecole du Louvre, RMN, 2001
- M. CASANOVA, Le lapis lazuli dans l’Orient ancien. Production et circulation du Néolithique au IIe millénaire av. J.-C., Paris, 2013
- A. THOMAS, La Mésopotamie au Louvre. De Sumer à Babylone, Paris, 2016
Textes : © Musée du Louvre / Julien Cuny
Image : © 2017 Musée du Louvre / Olivier Ouadah