Les œuvres de l'exposition

Autoportrait

Nicolas Poussin (Les Andelys, France, 1594- Rome, Italie, 1665) Huile sur toile INV 7302
1650
1,39 x 1,16 m


Autoportrait

 

Cet autoportrait a été commandé par Paul Fréart de Chantelou (1609-1694), ami et amateur des œuvres de Poussin. Après avoir hésité, l’exercice ne lui étant pas familier, le peintre exécute son portrait alors qu’il réside à Rome au cours de l’année 1650 comme l’indique l’inscription-signature, en latin et en lettres d’or, sur une toile derrière l’artiste. Poussin se représente à mi-corps, en buste et de trois quarts  tandis qu’il tourne un visage à l’expression sévère vers le spectateur, le regard perdu dans le lointain. Vêtu d’un ample manteau, sa main droite est posée sur un portefeuille renfermant des dessins évoquant la recherche en peinture. A l’arrière-plan, Poussin a disposé 4 toiles dont une seule est peinte. Seul un fragment est visible et montre le buste d’une femme portant un diadème orné d’un œil. Des bras l’enlacent. La scène, énigmatique, est interprétée dès 1672 par le premier biographe de Poussin, l’italien Bellori (1613-1696): « Sur une autre toile est figurée la tête d’une femme, de profil, avec un œil en haut de son diadème. C’est la peinture et deux mains apparaissent qui l’embrassent : c’est l’amour de la dite peinture, et l’amitié à qui le tableau est dédié ».
 
 
 
Une dernière fois je regarderai l’un des deux autoportraits que Poussin a consenti de peindre. C’est peu de dire de ce visage qu’il est « sévère ». Haut juge drapé de noir, qui fronce le sourcil et se tourne vers nous un moment (il n’aime pas regarder de ce côté-ci) ; regard puissant et lui-même détourné ; visage crispé dans une expression de noblesse et de folie (il n’en faut pas moins, sans doute, pour obtenir la « délectation »),il a accumulé dans ce tableau les marques et les symboles de son art. Sur un fond gris et découpé, jusqu’à la hauteur de sa tête, qui les dépasse, par des tableaux aux cadres de différentes largeurs disposés les uns sur  les autres, il est assis, le buste de profil droit que prolonge, vers la droite, le bras tendu et légèrement replié, la longue main baguée se refermant sur un carton à dessins. Tout au fond, une toile est retournée contre le mur (l’autre côté est ainsi défini et rien ne nous empêche de penser que c’est ici même). A l’extrême gauche de la deuxième toile en allant vers le fond, le profil gauche de la peinture (femme coiffée d’un diadème sur lequel est représenté un œil supplémentaire) apparaît souriante, embrassée. A droite, sur la toile qui se trouve immédiatement derrière lui, il a inscrit son nom, son âge à l’époque du tableau, son lieu d’origine (Les Andelys). Deux remarques de structure s’imposent aussitôt : d’abord, en relief, la somme des tableaux qui occupe tout le décor aboutit au tableau-plan où se trouve l’homme –Poussin. Ensuite, de gauche à droite, les seuls détails vraiment éclairés sont : le buste de la Peinture, le visage et la main du peintre. Voici donc, selon moi, comment lire cette épitaphe :
 
Du fond vers la surface (ou réciproquement) : je ne suis que mon NOM et ces TOILES.
 
Puis de gauche à droite: Seule la PEINTURE, et mon VISAGE qui en est l’autre face, conduise ma MAIN.
 
Philippe Sollers, Lecture de Poussin, Revue Tel Quel, 1961  ou L’intermédiaire, Paris, Point Seuil, 2001 
 
 
 
 
 
 
© Musée du Louvre, dist. RMN - Grand Palais / Angèle Dequier