Les œuvres de l'exposition
Colonne des danseuses de Delphes
Ce monumental moulage en plâtre d’une colonne végétale surmontée d’un tambour portant trois figures féminines fit sensation lors de son exposition dans le pavillon de l’archéologie française pour l’Exposition Universelle de Paris de 1900. Tour de force technique, le moulage révélait un monument que l’École française d’Athènes sous la conduite de Théophile Homolle venait de mettre au jour sur le site antique de Delphes. L’œuvre connue sous le titre de Danseuses de Delphes fut exposée au Louvre à partir de 1901 sur le palier de la Victoire de Samothrace et inspira Claude Debussy (1862-1918) qui y consacra le premier de ses Préludes pour piano en 1910.
Dans le contexte de rivalité exacerbée entre puissances européennes, la France obtient en 1892 la concession de la fouille du site de Delphes, le « nombril du monde » pour dix ans. Face à l’Allemagne en charge des fouilles du site d’Olympie depuis les années 1870, l’École Française d’Athènes, fondée en 1846 pour la formation sur le terrain des hellénistes français, mobilisa des moyens considérables : déplacement du village moderne, utilisation pionnière de la photographie à chaque campagne, diffusion des résultats par les moulages…
Les découvertes de sculptures bouleversent alors la connaissance de cet art. C’est un art grec archaïque, coloré, jugé alors primitif qui est d’abord mis au jour : « groupe » de Cléobis et Biton, trésor de Cnide et de Siphnos, Sphinx des Naxiens… Théophile Homolle directeur de l’école et du chantier décide alors - entreprise titanesque et risquée - de faire mouler les fragments découverts dans le but d’en proposer des restitutions en France. Selon l’accord avec la Grèce, les originaux restèrent en effet sur place. Le Louvre reçut ainsi des moules des monuments delphiques qui permirent leur restitution à l’occasion de l’Exposition de 1900 puis au musée, assurant le prestige de l’archéologie française.
Cette Grèce révélée comptait aussi des sculptures classiques qui devinrent très célèbres dans ce contexte particulier même si peu de spécialistes virent les originaux. Les Danseuses, datées alors du 5e siècle avant J.-C. firent sensation. Au détriment de l’observation, on décrivit alors trois figures féminines formant une ronde en se donnant la main (elles ne se tiennent pourtant pas la main et deux d’entre elles tiennent en fait le bas de leur vêtement !), juchées sur la pointe des pieds (les pieds conservés sont pourtant à l’horizontale !), les bras formant des arabesques au-dessus de leur tête.
Les visages rappelaient l’art de Praxitèle et les drapés mouillés le meilleur de la sculpture du temple d’Athéna Nikè sur l’Acropole d’Athènes. Bref la France avait découvert les modèles antiques des Trois Grâces de Falconnet ou des Bacchantes aux roses de Carpeaux ! On cita même Jean Goujon. La sculpture française était bien l’héritière de l’art grec ! Les hellénistes et chorégraphes de la danse contemporaine intégrèrent ce monument à leurs études sur la gestique antique. On scruta la coiffure en forme de corbeille végétale - le fameux calathos - que l’on voit sur des vases tarentins ou des reliefs plus tardifs et qui semble distinguer la danse des Karneia en l’honneur d’Apollon. On releva l’association aux feuilles d’acanthe en rappelant que c’est au sculpteur Callimaque que Vitruve avait attribué l’invention du chapiteau corinthien dont on aurait retrouvé là le prototype.
Cette interprétation imposée par les débats sur la danse était pourtant en grande partie erronée. Dès 1952 on retrouva les bras des figures qui, la main droite tournée vers le haut soutenait en fait la cuve d’un chaudron au-dessus de leur tête. Il s’agit donc non pas de danseuses mais de Cariatides portant un trépied dans lequel était placé - nous le savons depuis 1993 - un «omphalos » - cette pierre représentant le nombril du monde. Aussi, les « Danseuses », dédiées vers 330-320 avant J.-C. en l’honneur d’Apollon, malgré le beau prélude de Debussy, ne descendent pas du Parnasse pour danser une sarabande sacrée.